Existe-t-il (réellement) un " complot contre la RD Congo?

 

C’est l’un des thèmes le plus récurrent dans la littérature politique congolaise. Il est sensé "expliquer" ce pourquoi, un pays potentiellement riche comme le nôtre est en réalité l’un dont les populations se comptent parmi les plus pauvres du monde. Il "explique" aussi pourquoi nous en sommes réduits à être spectateurs de notre propre destin, alors que des "mains noires" sont aux manettes, ce depuis "l’indépendance cha cha".

 

Des politiciens en exil, des activistes, des professeurs d’université, voire des étudiants congolais y voient LA cause majeure de notre descente aux enfers. Nos bourreaux sont les mêmes depuis l’indépendance cha cha, nous disent-ils : "ce sontles Occidentaux et les milieux d’affaires internationaux". Ces derniers, ajoutent-ils, "se servent des dirigeants corrompus qu’ils mettent à la tête des institutions politiques pour préserver leurs intérêts et nous asservir". Il est ici question de la "théorie du complot". Question : existe-t-il un complot contre la RD Congo ?

 

Commençons par définir ce qu’est la "théorie du complot". Voici ce qu’en dit Wikipédia : "c’est une interprétation spéculative d’événements suivant un plan concerté et orchestré secrètement par un groupe (…) malveillant".  En d’autres termes, cela signifie que rien n’arrive par hasard, que tout est lié mais de façon occulte, que tout est prévu et prémédité, organisé et voulu par les Occidentaux.

 

La "thèse du complot" ignore le fondement des relations internationales. A l’époque où il était Président de l’Assemblée Nationale (2008), M. V. Kamerhe répondit en ces termes à la question de "Jeune Afrique" qui voulait savoir "si le Congo  pouvait jamais s’entendre avec M. Kagamé". Sans états d’âme, il dit : "ce n’est pas une question de sentiment ; c’est une affaire d’intérêt". Sans le savoir peut-être, il résumait le fondement même des relations entre Etats : derrière les sourires et accolades des politiciens, chacun ne recherche que les intérêts de son pays et ceux de ses propres citoyens.

 

Ainsi, tous les explorateurs qui ont traversé notre pays dans tous les sens les siècles écoulés, et "découvert la source ou l’embouchure du fleuve" n’étaient pas des philanthropes en quête d’exotisme. Comme le Roi Léopold II le démontra plus tard, ils étaient au service de leurs émissaires dont ils recherchaient les intérêts : rechercher des matières premières, des nouvelles terres ou de la main-d’œuvre bon marché.

 

Certains peuples ont résisté à l’assaut des colonisateurs, d’autres pas. Les derniers n’étaient pas victimes d’un "complot" ourdi contre eux : ils s’étaient simplement avérés faibles dans la confrontation où c’est au vainqueur de soumettre le vaincu et de lui dicter sa loi.

 

Si les congolais vivant en Angola sont expulsés et maltraités sans que le gouvernement proteste, cela  n’est pas la faute à l’Amérique. Que les contrats chinois signés avec le Congo soient à notre désavantage n’est pas la faute de la Chine. Ceux qui signent ces contrats empochent d’énormes commissions, c’est connu. Y voir "un complot contre le Congo" n’est pas réaliste.

 

La divergence d’intérêts entre les grandes puissances rend difficile l’existence d’un complot international. Un complot se définit comme " un dessein secret, concerté par plusieurs personnes ", ce qui suppose d’avoir les mêmes objectifs. Or les intérêts des acteurs politiques et économiques occidentaux ne sont pas les mêmes et sont souvent opposés. Un exemple : la France cherche à vendre des avions Airbusà l’Inde. Les USA veulent également y vendre leur Boeing. Chacun des deux « vendeurs » cherchera à dénigrer le produit rival et à présenter sous le beau jour le sien propre. Chacun de ces gouvernements répond devant ses propres électeurs et non devant un  Etat tiers. Question : les intérêts de la France et les USA sont-ils les mêmes en RDC ? Mais pourquoi le seraient-ils ?

 

La thèse du "complot" minimise le rôle du leadership local.Les vautours ne volent qu’au-dessus d’un être malade et non de celui en bonne santé. Et si l’on se rend malade, ce n’est pas tant  la faute aux vautours qu’à d’autres bêtes nécrophages.  L’AFDL n’a pu conquérir le Congo qu’à la suite d’une conjonction de facteurs ne dépendant nullement d’un  "complot  international contre le Congo".

En voici les raisons: l’opposition interne avait affaibli Mobutu politiquement ; la fin de la CNS sans que ses décisions soient appliquées avait convaincu plus d’uns que seule une force armée pouvait bouter Mobutu dehors ; Mobutu lui-même souffrait d’un cancer de prostate et était donc physiquement diminué ; son long règne empreint de brutalité et d’injustice avait fini par lasser et les populations souhaitaient vivement un changement de régime ; l’armée était démoralisée, divisée, tribalisée et mal payée ; la corruption et le climat d’affairisme au sommet de l’Etat était sans égal ; ses relations avec les pays voisins laissaient à désirer.

C’est a posteriorique les « vautours » occidentaux passèrent à l’action. Autrement dit, c’est par sa faute - sa mauvaise gouvernance caractérisée - que le Marechal Mobutu  a lui-mêmecreusé sa propre tombe politique. Qu’il se soit plaint plus tard d’avoir été « poignardé dans le dos » n’était qu’un réveil tardif d’un homme qui vivait sur une autre planète, loin des réalités que lui cachaient ses proches collaborateurs.

Dès lors, l’affaiblissement d’un Etat a pour conséquence d’aiguiser les appétits étrangers. Ceux d’entre nos compatriotes qui vivent dans des pays organisés n’y trouveront pas des libanais ou des indo-pakistanais faisant la loi comme c’est le cas au Congo. Est-ce la faute aux occidentaux si la RD Congo est devenu un « paradis fiscal » pour tous les vautours du monde ?

La thèse du "complot contre le Congo" est caractéristique du mimétisme ambiant.Lorsqu’on entend la rhétorique politique ou celle émanant de la Société civile congolaise, la référence à "la communauté internationale" est l’une des constantes. L’on cite "la communauté internationale" au quotidien, que ce soit pour la "prendre à témoin", soit pour la blâmer. En d’autres termes, nous attendons beaucoup de l’extérieur. Les partisans de la thèse du « complot  contre le Congo » se situeraient dans la même logique : l’extérieur est leur cible.

En réalité, les thèses "conspirationistes" ne datent pas d’aujourd’hui : elles existent depuis la nuit des temps. On l’a vu, les causes exogènes de la crise que traverse la RDC ne constituent pas un « complot ». Emmanuel Kreis, historien des courants ésotériques modernes admet que « la crise est une période favorable à l’éclosion croissante des thèses conspirationistes ». Ceci expliquerait-il cela ?

 

Emmanuel Ngeleka

http://emmanuel1ngeleka.wordpress.com