Baudouin Amba Wetshi (avec ACP)
10 septembre 2014
Au centre, Jean-Bertrand Ewanga Is’Ewanga, lors d’une audience à la CSJ

La Cour suprême de justice siégeant comme Cour constitutionnelle a, en son audience publique de lundi 8 septembre, statué sur les quatre points contenus dans la requête introduite par Bertrand Ewanga Is’éwanga, député national, dans l’affaire qui oppose celui-ci au ministère public qui l’accuse d’"offense envers le chef de l’Etat et incitation à la haine tribale".
Dans cette requête dont trois préoccupations exprimées ont été rejetées, et l’une déclarée recevable, l’accusé Ewanga sollicitait l’interprétation de certaines dispositions et la "rectification d’erreur matérielle" contenue dans l’arrêt daté du 25 août dernier pris par cette juridiction, siégeant comme cour de cassation.
Bien qu’une faute avouée est à moitié pardonnée, il est assez stupéfiant voire inquiétant que des magistrats de la plus haute juridiction du pays aient reconnu qu’une "erreur de plume" s’est "glissée par inadvertance lors de la saisie dudit arrêt". La demande de rectification introduite par l’accusé Ewanga a donc été déclaré "recevable".
S’agissant des trois autres points relatifs à l’interprétation de certaines dispositions constitutionnelles, la Cour, a, après analyse, estimé qu’il n’y a pas lieu à interprétation et une telle requête sur ces points est déclarée irrecevable. En clair, le secrétaire général de l’UNC, Jean-Bertrand Ewanga Is’Ewanga va être jugé au pénal, en premier et dernier ressort. "L’instruction du fond du dossier sera fixée prochainement devant la Cour siégeant comme Cour de cassation en matière répressive", précise une dépêche de l’ACP.
On peut gager que cette "haute juridiction" - dont les magistrats doivent leur avancement à "Joseph Kabila" - veillera à ce que "la haute hiérarchie" ne perde pas la face. Une parodie de procès est donc en préparation entre un accusateur omnipotent et un accusé condamné à l’avance. "Une Cour suprême de justice parallèle existe à la Présidence de la République. Elle est dirigée par le conseiller principal du chef de l’Etat chargé des questions juridiques, le très fameux Néhémie Wilondja.". L’homme qui tient ces propos est un éminent avocat kinois qui connaît aux bouts des doigts les mœurs politico-judiciaires du "système Kabila".
Pas de crime, ni délit sans loi
Tous ceux qui s’intéressent aux matières juridiques savent que contrairement à la procédure civile, la procédure pénale est stricte. Les infractions sont strictement codifiées. Il n’y a ni crime ni délit sans un texte légal qui érige le fait querellé en infraction. Les latinistes formulent cette réalité en ces termes : "Nullum crimen, nulla poena sine lege". Pas de crime, pas de peine sans loi.
Au lendemain du meeting organisé le 4 août dernier, à Kinshasa, par des représentants des forces politiques et sociales, Ewanga a été arrêté à son domicile par des agents de l’ANR (Agence nationale de renseignements). Au mépris des immunités attachées à son statut de député national. En guise de charges, le procureur général de la République (PGR) invoque l’infraction d’"offense au chef de l’Etat et incitation à la haine tribale". Violation des immunités parlementaires? Le PGR trouve la parade : "la flagrance".
Sous la Deuxième République, la défunte Cour de sûreté de l’Etat était compétente des infractions qui touchent la sécurité de l’Etat, aux offenses et attentats contre le chef de l’Etat, à l’honneur et à la dignité des chefs d’Etat étrangers. Cette juridiction réputée de régler des "comptes politiques" en lieu et place de dire le droit a sombré corps et biens.
En guise de "base légale", le PGR Flory Kabange Numbi est allé exhumer l’ordonnance 63/300 signée par le président Joseph Kasa-Vubu. Un texte jugé inconstitutionnel par la défense d’Ewanga. Au motif qu’il a été pris en violation de la Loi Fondamentale qui régissait le jeune Etat indépendant au cours des quatre premières années de son existence. Ce décret du président Kasa-Vubu devait être ratifié par le Parlement dans un délai de six mois. Ce qui n’a pas été le cas. En conséquence, pour la défense, l’infraction imputée à Ewanga est dénuée de tout fondement juridique. D’où l’exception d’inconstitutionnalité soulevée.
"Prisonnier personnel" de "Joseph Kabila"
C’était mal connaître les magistrats assis congolais. Sous d’autres cieux, le juge se contente de jouer le rôle d’arbitre au procès. Il ne dirige pas la procédure contre l’accusé. Inféodés au pouvoir politique et économique, les juges congolais, à tous les échelons, se comportent en auxiliaires du représentant du ministère public. Les magistrats de cette haute cour ne font pas exception dans la mesure où ils savent que les charges retenues contre le secrétaire général de l’UNC ne reposent sur aucun texte légal. "Ils obéissent aux ordres de Joseph Kabila", commente un juriste.
Lors de son audience du lundi 25 août, la Cour a rejeté l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par les avocats de la défense. Et pourtant, dans son argumentaire, ceux-ci ont pu démontrer que plusieurs articles de la Constitution ont été violés. C’est le cas notamment des articles 17, 18 et 19. Notons que lors de la première audience, les avocats de la défense avaient exigé de prendre connaissance des pièces contenues dans l’acte d’accusation. Le président Tuka avait fini par avouer que "le dossier était vide". Inimaginable dans un Etat qui se dit démocratique. Ni plainte de "Joseph Kabila", ni mandat émis par le PGR, encore moins les preuves des faits incriminés.
Lors de cette audience, les avocats de la défense avaient soulevé l’illégalité de l’assignation à résidence de l’accusé Ewanga. Celui-ci est privé de la liberté locomotrice depuis le 5 août. Le délai légal de 15 jours est largement dépassé. Ils avaient exigé que l’intéressé puisse comparaître à l’avenir en citoyen libre. Qui oserait défier le "raïs" en allant à l’encontre de ses instructions? Il va sans dire que Jean-Bertrand Ewanga est le "prisonnier personnel" de "Joseph Kabila". Au même titre que le député national Eugène Diomi Ndongala. Il est plus que temps que les Congolais se lèvent pour mettre fin à ce despotisme...
Baudouin Amba Wetshi (avec ACP)
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