RDC : Le décès-Événement de Pauline Opango et sa forte symbolique, par Dr Lambert OPULA
À l’heure ultime de son combat révolutionnaire pour le Congo, en décembre 1960, Patrice Lumumba pressentit que le moment était venu de léguer un testament à la nation. Mais, l’acteur opérant, aussi bien par la teneur de sa lettre que par le modus operandi désigna la Congolaise Pauline Opango, sa chère épouse comme dépositaire.
Face à un danger réel d’une mort d’impulsion néo-colonialiste, Patrice Lumumba en appelait-il à la nation en prenant Pauline Opango en témoin ? En appelait-il à ses enfants en prenant leur mère en témoin ? Où, enfin, en appelait-il à son épouse en prenant sa chère nation congolaise en témoin ?
Toujours est-il que la lettre-testament de Lumumba contenait des recommandations adressées tour à tour à chacune de ces composantes. Il y aurait donc fort à parier que son auteur voulut transmettre ses dernières pensées à la nation et à ses enfants par le biais d’une messagère dont elle connaissait les mérites.
Cinquante-trois ans après l’assassinat du héros national, Pauline Opango, bien que consciente de l’emprise de la mémoire de son ex-mari dans l’opinion congolaise, (elle) est restée discrète vis-à-vis de toutes les polémiques intervenues en RDC depuis 1961. Pauline Opango s’est montrée digne de la forte symbolique que Lumumba attendait d’elle en transmettant par son biais, un testament à la nation congolaise tout entière.
En 1961-1962, lorsqu’Antoine Gizenga établit le gouvernement de jure de Stanleyville, en sa qualité de Vice premier ministre de Patrice Lumumba, Pauline choisit de se retirer auprès de ses enfants, au Caire où le président égyptien Gamal Abdel Nasser leur avait accordé sa protection.
Les enfants Lumumba accueillis au Caire par la famille du président Gamal Abdel Nasser d’Égypte
En 1963-1964, lorsque, d’abord, Pierre Mulele, ancien ministre de l’éducation du gouvernement Lumumba lança le maquis du Kwuilu-Kwango qui mit l’actuel Bandundu en feu et en Sang, elle naviguait entre l’Europe et le Caire où se trouvaient les enfants de Patrice.
Il en fut de même lorsque les parlementaires Lumumbistes se retirèrent à Brazzaville, en 1963, pour créer le Comité national de libération, lequel lança la Rébellion des Simba à l’Est du Congo. Le silence et la distance de Pauline Opango, même vis-à-vis de ces deux mouvements qui prétendaient combattre pour le triomphe de la lutte patriotique de Patrice Lumumba constituaient déjà un signal clair, de ce qu'elle n'adopterait jamais une attitude qui favoriserait la division parmi le peuple congolais cher à Patrice Lumumba.
Les combattants rebelles Simba qui proclamèrent la République populaire du Congo,
sous la direction de Christophe Gbenye et Gaston Soumialot, en 1964, à Stanleyville (aujourd’hui Kisangani)
De retour au pays dans les années 1980, elle trouva en place un gouvernement Mobutu qui s’était servi à satiété de la reconnaissance posthume dont bénéficiait la mémoire de son mari. Malgré cela, elle ne se plaignit, ni ne sollicita aucun privilège particulier au nom de son illustre défunt mari dont le nom était ci-exploité.
Depuis lors, le Congo a été secoué par de nombreuses agressions vis-àvis desquelles, Pauline Opango ne rompit pas une seule fois sa règle de conduite : la distance et la discrétion. Il y a eu tour à tour : l’agression de l’Est du Congo par les mercenaires de Jean Schramme et Bob Denard en 1967, l’agression des gendarmes katangais, dits Diabos, à partir de l’Angola en 1977 (guerre de 80 jours – sur l’axe Kapanga-Sandoa) et en 1978 (guerre de 8 jours – sur l’axe Kolwezi-Dilolo) et les agressions de Moba1 et 2 en 1982 et en 1984, à partir la frontière tanzanienne.
«À mes enfants que je laisse et que peut-être je ne reverrai plus» : Maman Pauline Opango caressant Roland Lumumba.
Elle se montra indemne devant toute la tempêté de la démocratisation qui se souleva depuis le 24 avril 1990, pas plus qu’elle n’a donné son opinion, ni sur l’avènement de Mr Laurent-Désiré Kabila, ni sur celui de Joseph Kabila Kabange, l’actuel président.Elle a tout simplement choisi de demeurer loin du jeu politique politicienne,
Un long veuvage dans la discrétion et la distance vis-à-vis du jeu politique
Au Congo d’aujourd’hui, toutes les forces politiques, aussi antagonistes soient elles, disposent d’un dénominateur commun, le patriotisme de Patrice Lumumba. Pareillement, sa vie durant, Pauline Opango, ne s’est attiré la haine d’aucune force politique. Dans son amour des Congolais, Lumumba n’avait-il pas dit : si un Congolais me tue, c’est qu’il aura été armé par un Belge ? L’épouse de Premier Chef de gouvernement du Congo indépendant est restée digne d’une Mère de la nation. Aurait-elle agi autrement qu’elle aurait trahi le testament que Patrice Lumumba, par elle, avait légué au peuple Congolais.
La disparition d’une femme aussi emblématique est, ni plus, ni moins, un décès-événement.
Maman Pauline Opango au crépuscule de sa vie
Dans le district du Sankuru, dont Patrice Lumumba était originaire, aussi bien la mémoire de ce dernier que la pauvre Pauline (de son vivant) étaient perçues comme de véritables dénominateurs communs dans cette terre aux sables mouvants que voulut ressembler le Sankuru.
C’est donc une véritable «Mother of the nation», que le Congo pleure aujourd’hui. Elle avait l’aura des admirateurs de Lumumba et de ceux de son propre style de vie, mais elle n’a jamais été tentée de l’exploiter au risque de salir l’image que Patrice Lumumba s’était taillée, de son vivant, au sein de la nation congolaise. Elle n’a jamais soutenu une mouvance politique contre une autre, ni une agression militaire du Congo, même celle qui se servirent du nom de son prestigieux mari.
Dr Lambert Opula
EXTRAIT DE LA LETTRE-TESTAMENT DE PATRICE LUMUMBA À PAULINE OPANGO
Ma compagne chérie,
Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront, quand ils te parviendront, et si je serai en vie lorsque tu les liras. Tout au long de ma lutte pour l’indépendance de mon pays, je n’ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré toute notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, c’est son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions.
[…] Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. Que pourrai-je dire d’autre ? Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo… […] Mais ma foi restera inébranlable.
A mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres. Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés.
L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté.
Vive le Congo ! Vive l’Afrique !
Patrice Lumumba