Kabila, président affaibli
MFC
Mis en ligne le 01/02/2013
Le chef de l’Etat congolais est faible car mal élu. Mais il est aussi un président « lié » à divers groupes de pression. Cela entrave la bonne marche de l’Etat et rend difficile tout remaniement du gouvernement. Entretien avec le professeur Jean Omasombo.
Contraintes
Joseph Kabila n’est pas seulement un président faible parce que mal élu, il est aussi prisonnier de réseaux parce que, pour obtenir des voix, il s’est lié à plusieurs groupes de pression. » Quatorze mois après les élections frauduleuses de novembre 2011 - « non crédibles« , selon les observateurs nationaux et internationaux -, le politologue Jean Omasombo, professeur à l’université de Kinshasa et chercheur au Musée de Tervueren (section Histoire du temps présent), analyse la mise en place des institutions après ces scrutins.
Et tout d’abord le gouvernement Matata, aux affaires depuis le 28 avril 2012, dont sept des trente-six membres sont katangais alors qu’« aucune autre province n’a plus de quatre ministres nationaux« .
Ils ont demandé pardon pour lui
Le professeur en voit l’origine dans un congrès de Buluba-i-Bukata (« les Lubas sont nombreux »), association tribale des Lubas du Katanga, dont était issu Laurent Kabila, père et prédécesseur de l’actuel président. Un congrès tenu par quelque 5 000 délégués à Kamina, du 31 janvier au 2 février 2011, et« financé à hauteur de 3 millions de dollars par la présidence, chacun des délégués recevant 500 dollars », explique Jean Omasombo. Selon lui, la commission socio-économique du congrès « a relayé les griefs des Lubas envers le chef de l’Etat, considéré comme un mauvais fils parce que le Nord-Katanga« , dont sont originaires les Lubas du Katanga, « n’a rien reçu « de sa présidence. Tandis que la commission politico-stratégique, présidée par Jean Mbuyu (qui fut conseiller spécial du chef de l’Etat pour la Sécurité), « devant laquelle des partisans de Joseph Kabila ont demandé pardon pour lui, a établi des plans pour le faire réélire« , explique le chercheur.
Le document diffusé par cette seconde commission note que, « la CENI (NdlR : Commission électorale nationale indépendante, impliquée dans les fraudes électorales à grande échelle de 2011 ; dirigée par le pasteur Daniel Ngoy Mulunda, parent de Joseph Kabila et Luba du Katanga) n’étant pas sous la totale supervision de notre camp, il faudra que la Balubakat (soit les Lubas du Katanga) se dote d’une structure parallèle de maîtrise du processus » électoral. Cette seconde commission juge aussi « nécessaire de susciter la mise en place de réseaux d’observateurs protestants, islamiques et/ou œcuméniques pour contrebalancer l’influence du réseau catholique (Renadoc) « .
Le document final du congrès lubakat réitérait son soutien « inconditionnel » à Joseph Kabila, « unique candidat du peuple luba », qui lui assurera « une victoire éclatante » et dont la devise est « Joseph Kabila Kabangre ou rien ! ».
Récompensés par des postes
Les résultats officiels des élections en zone luba au Katanga atteignirent « les 100 % », rappelle Jean Omasombo. Soulignant qu’en politique « les résultats priment sur le contenu », le chercheur y voit la raison pour laquelle les Lubakats sont récompensés au-delà de leur poids électoral au sein du gouvernement : quatre des sept ministères « katangais » leur reviennent, et pas des moindres – le poste de vice-Premier ministre et la Défense, attribués à Alexandre Lubal Lamu ; les Mines à Martin Kabwelulu; l’Emploi à Félix Kabange Numbi et, pour Baudouin Banza Mukalay, la Jeunesse, Sports et Loisirs, Culture et Arts. Pour ne pas créer de tensions intra-katangaises, des postes sont attribués aussi à des originaires de la province issus d’autres ethnies, souligne le professeur : l’Intérieur à Richard Muyej, la Justice à Wivine Mumba, les Travaux publics à Fridolin Kasweshi.
« Après le Katanga, c’est au Maniema (86,7 %) et au Bandundu (82,2 %) que Kabila a le plus de votes enregistrés » officiellement, poursuit M. Omasombo. « Ces deux provinces sont également récompensées ». Ainsi, le Premier ministre, Mapon Matata Ponyo, est du Maniema, de l’ethnie bangubangu de la mère de Joseph Kabila. Les Transports et Communications vont à un autre ressortissant de la province, ainsi que le poste de vice-ministre des Finances.
La présidence de l’Assemblée nationale revient, quant à elle, au Bandundu, en la personne d’Aubin Minanu, qui avait « co-initié, avec Christophe Lutundula, le processus de révision de la Constitution en vue de voir le scrutin présidentiel se dérouler en un seul tour », rappelle le professeur. Il a en outre l’avantage de ne pas être de l’ethnie Pende des deux Premiers ministres de la législature précédente, MM. Gizenga et Muzito, du parti Palu – « un allié devenu encombrant« pour le chef de l’Etat. Lorsqu’il avait été question de faire partir Adolphe Muzito, dont la corruption et l’incompétence étaient dénoncées de toutes parts, le Palu n’avait pas hésité à attaquer l’Assemblée nationale, dont le portail avait été détruit.
« Cette fois, Joseph Kabila a voulu limiter cette alliance encombrante et n’a plus de convention entre son parti, le PPRD, et le Palu. Et lorsqu’il a choisi des gens de ce parti, ce ne sont pas des Pendes et ils n’ont pas été choisis par leur parti, comme sous la précédente législature« , note Jean Omasombo.
Remaniement du gouvernement non accepté
« Dans l’espoir de limiter au maximum les entraves à sa liberté, Joseph Kabila a évité de prendre au gouvernement des chefs de partis – à part trois exceptions, à la tête de petits partis. Cela a d’ailleurs mécontenté le PPRD. Le résultat, c’est que la grande majorité des ministres sont des inconnus ou des quasi-inconnus de la population congolaise « , explique le chercheur.
« Dans la pratique, cependant, Kabila est un président faible, parce que mal élu, et un président lié. Voilà des mois que le gouvernement devrait être remanié « , notamment parce que le ministre de la Défense, pharmacien de formation, n’est pas à la hauteur de la tâche avec une reprise des combats au Kivu. « Mais rien ne se fait parce que Buluba-i-Bukata ne veut pas en entendre parler : ce ministre est le fils du chef coutumier de Manono », la région d’origine de Laurent Kabila.
MARIE FRANCE CROSLLB