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Lettre ouverte de Yoka Lye Mudaba aux intellectuels congolais de bonne volonté de Brazzaville et de Kinshasa

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Le D.G. de l’institut national des arts (INA) adresse en sa qualité d’écrivain un message interpellateur à l’endroit d’une certaine intelligentsia considérée de bonne volonté des deux capitales les plus rapprochées du monde sur les deux rives du Pool Malebo du fleuve Congo
altChers frères et chères sœurs,

Les poètes des deux rives  de notre Fleuve Congo nous avaient de tout temps ressassé que Brazzaville et Kinshasa étaient « les villes les plus jumelles du monde » ; que le fleuve Congo n’était pas une barrière, mais une passerelle. Que notre devoir de citoyens panafricains au cœur du continent, était de construire le « pont sur le Congo » avec les  fibres de nos cœurs et de notre génie.

Hélas les incidents survenus à Brazzaville ces dernières semaines, avec des expulsions musclées de la police (et avec des bavures en chapelet), n’augurent rien de bon, et contredisent tous les discours lénifiants des politiciens sur notre « fraternité légendaire ». Nous en sommes même revenus au temps de la « guerre froide » sur les deux rives, d’abord dans les années ’60, puis dans les années ’70-80.

Chers frères et sœurs, n’êtes-vous donc, hommes et femmes de bonne volonté, que témoins impuissants du cycle infernal ? Avant-hier, c’était la « chasse aux sorcières » (et des soi-disant « londonniennes ») ; hier, c’était la traque des « kulunas » (et des soi-disant sans papiers). Aujourd’hui c’est le refoulement des bagagistes. Et tout cela, sans que, semble-t-il,  l’ambassadeur ex-Zairois  en poste à Brazzaville, n’en soit informé au préalable ! A Brazzaville désormais, être « ex-Zairois »  rime-t-il avec « hors-la-loi ? Comme l’ont déclaré récemment les collectifs des droits de l’homme de Brazzaville (nos seuls avocats là-bas), que signifie « sans papiers » pour un Kinois à Brazzaville, puisque jusqu’à nouvel ordre, il se sent chez lui, et vice versa…

Le paradoxe veut que nous ayons face à face   une mégapole de 10 millions d’habitants et une agglomération urbaine d’à peine un demi-million d’âmes. La pression des flux est presque incompressible !  Le paradoxe veut qu’à ce titre,  Kinshasa, bon gré mal gré, continue à fasciner les Brazzavillois, dans tous les sens du terme. Le paradoxe  veut que les transactions commerciales et marchandes favorisent plutôt les marchés de la rive droite… Le paradoxe enfin veut que les petits boulots et les métiers artisanaux (sans compter les vocations professionnelles d’artistes) soient  majoritairement l’apanage des Kinois installés là-bas.

Or, les populations de base, les citoyens-tout-le-monde ont su trouver de tout temps, ici et là, des équilibres dans la régulation des flux et des transactions. Tous les « vieux » (et vrais !) Kinois autant que tous les « vieux » (et vrais) Brazzavillois, savent que déjà à l’époque coloniale, la traversée du fleuve était d’une fluidité totale et facile, sans contrainte spéciale et sans papiers. Même lorsque après les indépendances, les relations politico-diplomatiques se sont abîmées, pour des raisons de suspicions  de part et d’autre, les citoyennes et les citoyens « lamdas » des deux rives, ont toujours trouvé des ressources inouïes de négociations.

Et comme dans un jeu tragique de ping-pong, lorsque « ça bardait » à Kin (comme lors des pillages au début des années ’90),  les Kinois trouvaient leur refuge naturellement à Brazzaville ; et vice versa… Il arrivait, hélas, que ces relations politiques se dégradent tellement que les représailles devenaient la seule règle soi-disant diplomatique. On se souvient des intimidations matamoresques du Président Mobutu allant jusqu’à couper l’électricité de Brazzaville parce qu’à l’époque dépendante du barrage de Zongo, ou jusqu’à interrompre unilatéralement un trafic qui nourrissait  principalement Brazzaville.

On n’en est pas là, Dieu merci. On n’en est pas au retour de la manivelle des artistes et promoteurs de Brazzaville interdisant les productions des musiciens kinois chez eux parce que soi-disant « envahissantes ». On n’en est pas non plus aux rancoeurs des Kinois par rapport à l’activisme intellectuel  et culturel de Brazzaville, au point de croire que les initiatives majeures venant de la rive droite sont en fait des inspirations originales de la rive gauche…

Au secours donc  Makoko, au secours Ngaliema :  sans internet, sans SMS, sans GSM, sans Skype et Face book, sans supermarché virtuel, ces souverains ont apprivoisé la gestion des deux Congo, jusqu’aux confins du Gabon actuel, jusqu’à l’embouchure atlantique ! Oui, le fleuve Congo n’était alors qu’un boulevard,  une simple passerelle  que l’on enjambait allègrement à l’occasion de tout et de rien.

Au secours donc, hommes et femmes de bonne volonté de ce grand Congo rêvé par les poètes-prophètes Flanklin Boukaka ou Joseph Kabasele, le Grand Congo de Lumumba qui va de Oyo à Sakania, de Bunia à Loango ! Au secours : ne laissons pas  déglinguer nos rêves millénaires et nos solidarités de sol et de sang au gré des passions éphémères. Au secours, l’Afrique des Peuples, la seule authentique ! Et non l’Afrique préfabriquée à Berlin en 1885 à coups d’équerre par des géomètres de la géopolitique dévorante.  Et non l’Afrique des frontières soi-disant « intangibles ». Chers frères et sœurs congolais et ex-zaïrois,
Avec mon affection la plus fraternelle.


Yoka Lye/Le Potentiel

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