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R E P U B L I Q U E D E M O C R A T I Q U E D U C O N G O
SENAT
CABINET DU PRESIDENT
Kinshasa
Palais du Peuple
15 décembre 2014
ALLOCUTION DU PRESIDENT
A L’OCCASION DE LA OUVERTURE
DE LA SESSION ORDINAIRE DE
SEPTEMBRE 2014
1
Honorable Président de l’Assemblée Nationale et Estimé collègue,
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême de Justice,
Monsieur le Procureur Général de la République,
Honorables Membres du Bureau de l’Assemblée nationale et du Sénat,
Honorables Députés et Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement,
Monsieur le Président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa,
Monsieur le Gouverneur de la Ville-province de Kinshasa,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Chefs des Missions Diplomatiques,
Mesdames et Messieurs les Représentants des Organisations Internationales du Système des Nations
Unies,
Mesdames et Messieurs les Officiers Généraux et Supérieurs des Forces Armées et de la Police
Nationale,
Messieurs les Représentants des Confessions religieuses,
Madame la Bourgmestre de la Commune de Lingwala,
Distingué(e)s invité(e)s,
Mesdames et Messieurs,
Essentiellement budgétaire la présente Session ordinaire s’ouvre conformément aux articles 115 de la
Constitution et 74 du Règlement Intérieur du Sénat.
Elle intervient à un moment particulièrement douloureux dans la vie sociale de notre peuple marqué par la
résurgence de la fièvre hémorragique à virus EBOLA dans le territoire de Boende, province de l’Equateur. Un
virus d’une autre souche est signalé en Afrique de l’Ouest, où l’on déplore au moins deux milliers de victimes.
En mémoire de toutes ces victimes, je vous invite à observer un instant de silence.
Je salue l’heureuse initiative de l’Eglise catholique du Grand Equateur de réunir les filles et fils de la Province
pour se joindre au Gouvernement aux fins de trouver des voies et moyens de préserver l’Equateur de ce fléau.
Sans céder à la psychose le Gouvernement devrait quant à lui rester constamment mobilisé afin que le plan
de riposte mis en place permette non seulement le cantonnement mais surtout l’éradication de la maladie. Il y
va de la santé de tous, santé qui figure dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement.
A propos de ces Objectifs, je rappelle que notre pays à l’instar de nombreux autres s’était engagé de 2003 à
2015 notamment à :
- réduire de moitié l'extrême pauvreté et la faim ;
- réaliser l'éducation primaire universelle et l'égalité des sexes ;
- réduire de deux tiers la mortalité des enfants de moins de 5 ans et de trois quarts la mortalité maternelle ;
- inverser la tendance en matière de propagation du VIH/sida et du paludisme ;
- réaliser un développement durable et assurer la viabilité de l'environnement.
L’heure est au bilan. Cela d’autant plus que les performances économiques présentées sont en lien direct
avec les résultats obtenus dans la poursuite de ces objectifs.
Le Gouvernement aligne en effet, des résultats économiques notables. Selon les données disponibles la
conjoncture intérieure continue à se caractériser par :
- une croissance soutenue de l’activité économique ;
- la maîtrise budgétaire, la stabilisation du taux de change et la baisse du rythme de l’inflation.
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Suivant la Banque Centrale du Congo le taux de croissance du PIB se situera à 8,8% en fin 2014 contre 8,5%
en 2013. L’année pourra se clôturer aussi avec un taux d’inflation de 1,2% alors que le taux d’inflation moyen
prévu est de 3,9%.
Quant à lui, le taux de change du dollar américain qui demeure stable se situera à 930 francs grâce à une
bonne coordination des politiques budgétaire et monétaire.
Dans ce contexte la Banque Centrale a jugé nécessaire de maintenir son taux directeur à 2%. Malgré le faible
niveau de ce taux et une certaine maîtrise de l’inflation les banques commerciales continuent
malheureusement à prêter de l’argent à des taux d’intérêt prohibitifs. Ces taux s’élèvent actuellement à 18,0%
en moyenne par an ce qui handicape le financement de l’activité économique et, par voie de conséquence, la
création des emplois.
Je souhaite que le Gouvernement engage des discussions avec le secteur bancaire accompagnées de
mesures incitatives afin d’obtenir la baisse de ces taux.
Par ailleurs, dans le contexte où l’agriculture est devenue l’une des priorités pourquoi ne pas créer dès
maintenant des banques de crédits agricoles !
Je ne pense pas que l’Etat puisse en la matière atteindre tous les objectifs poursuivis sans la participation du
secteur privé.
Je ne cesserai jamais de le dire : ce n’est pas l’Etat mais le capital privé qui crée des foyers de richesses. Et
pour qu’il y ait création des foyers de richesses, il faut que le capital privé soit soutenu et associé aux objectifs
du développement.
C’est dans ce contexte que le Parlement est sensibilisé pour que l’écriture du nouveau Code agricole
actuellement en examen à l’Assemblée nationale soit améliorée notamment son article 16 qui a fait de tapage
ce dernier temps.
C’est avec des mesures incitatives en direction des PME et PMI que nous parviendrons à booster notre
secteur agricole.
Honorables Sénateurs et chers collègues,
Budgétaire la présente Session présente ne traitera pas moins d’autres matières conformément à son
calendrier. Parmi ces matières il y a le projet de loi modifiant et complétant le Code de la Famille déposé par
le Gouvernement au cours de la Session de mars de cette année.
Présentement en examen au Sénat, ce projet constitue une réforme législative d’une importance capitale.
Permettez-moi d’y revenir un instant.
Prisonnier à Sainte-Hélène, Napoléon disait : « Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante
batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra
éternellement, c’est mon Code civil ».
Le Code civil est la première règle de vie que se donne un peuple pour son harmonie. Il contient les principes
essentiels sur l’identification et la capacité des personnes mais aussi les règles relatives au droit de la famille,
aux régimes matrimoniaux, aux successions aux libéralités. C’est en quelque sorte la pierre angulaire de tout
l’édifice juridique d’un pays.
Le Gouvernement justifie la modification de ce monument juridique essentiellement par le souci d’adapter la
législation à certains instruments juridiques internationaux visant le renforcement des droits spécifiques de la
femme et de l’enfant, tout en actualisant sur le plan technique, les unités et valeurs monétaires contenues
dans le Code de 1987.
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Je salue cette initiative. J’estime cependant, que les options à lever doivent demeurer dans les limites de la
compatibilité du droit moderne avec notre droit traditionnel.
Car, comme je l’avais écrit en 1976 dans une de mes mercuriales, la réforme qui allait donner naissance au
Code de la famille actuel était initiée dans un esprit bien spécifique : « constituer une synthèse
harmonieuse entre les éléments du droit moderne et ceux du droit traditionnel, à même de concilier et
de refléter les aspirations légitimes d’un peuple en pleine mutation qui ne veut pourtant rien perdre de
son authenticité ».
Aussi aimerais-je partager avec vous quelques réflexions sur certains points de la réforme projetée.
Sur les questions liées au droit de la personne, je vois que des innovations sont introduites notamment en
matière d’identification et de capacité des personnes physiques, particulièrement en ce qui concerne la
dation du nom et la capacité juridique de la femme mariée.
En matière de dation du nom, si l’article 52 a le mérite de préciser que le nom, le postnom et le prénom
constituent les éléments du nom, en revanche, le projet gouvernemental a supprimé le pouvoir du dernier mot
qui avait été laissé au père en cas de désaccord des parents dans l’attribution du nom à leur enfant. Une telle
suppression, qui ne s’accompagne d’aucune solution palliative, comporte le risque de voir le litige, d’essence
privée, être porté devant une instance extérieure à la famille ; ce qui ne peut que nuire aux rapports de paix et
de stabilité dans le couple.
Je suggère que l’attribution du nom à l’enfant continue d’être comme par le passé, l’oeuvre de ses parents. En
cas de désaccord, que le dernier mot revienne non pas au père seulement, mais aux deux parents, en
accordant à chacun le droit d’attribuer un élément du nom à l’enfant. Ainsi l’enfant porterait, dans ce cas, un
nom composé d’au moins deux éléments, attribués respectivement par chacun des deux parents.
Sur la question même de la structure du nom, il est certes réaffirmé dans le projet de loi que le nom, puisé
dans le patrimoine culturel congolais, comporte un ou plusieurs éléments.
Quoique conformes à certaines de nos cultures, cette disposition accuse à mon avis, un certain manque
d’uniformisation de la structure du nom en droit congolais, en raison de la réaffirmation du principe de la
pluralité sans limite des éléments du nom. En outre, elle ne résout pas le problème des noms kilométriques,
source de beaucoup de difficultés dans la rédaction des actes d’état civil. Il faut limiter sinon on n’établira
jamais de nom.
Je propose qu’une réflexion soit menée sur cette question.
Dans le même ordre d’idées, l’on ne voit nulle part la place que le nouveau Code réserve aux
pseudonymes et autres surnoms, une pratique pourtant courante dans la vie sociale.
Sur la problématique de la capacité juridique de la femme mariée, je note qu’à la demande insistante de
la gent féminine, l’autorisation maritale, jadis conçue dans l’optique de la protection de cette dernière, est
proposée à la suppression. Je m’en réjouis.
Ce n’est pas une mauvaise idée. Car notre pays a ratifié la Convention des Nations Unies sur l’élimination de
toutes les discriminations à l’égard de la femme. En outre, la Constitution du 18 février 2006 consacre le
principe de la parité homme-femme, même si ce n’est que dans le domaine politique.
Dans ce contexte, le maintien de l’autorisation maritale apparaît comme une limitation injustifiée de la capacité
juridique de la femme mariée. D’autant plus que, déjà du fait de leur mariage, la capacité juridique de l’homme
et de la femme est naturellement restreinte par les obligations réciproques qui leur incombent, tant dans la
gestion du lien conjugal que dans l’administration de leurs biens.
4
Sur ce point, le Gouvernement a vu juste.
Dans la même logique, il est proposé de relever l’âge légal du mariage de la jeune fille à 18 ans,
contrairement à 15 ans dans la législation actuelle.
C’est une vielle revendication qui a trouvé écho dans la loi portant protection de l’enfant, laquelle a fixé l’âge
de la majorité à 18 ans.
Je rappelle simplement qu’il n’y a pas de lien nécessaire entre l’âge de la majorité civile et celui du mariage.
Tout dépend des développements physiologiques et psychologiques des personnes. D’ailleurs, à l’époque de
la rétention de l’âge de 15 ans pour la jeune fille, le Code civil fixait la majorité civile à 21 ans !
Dès lors, le problème n’est pas dans l’option levée, mais dans l’argument avancé.
Puis-je rappeler qu’en dépit de la charge morale qui entoure cette question, le Code de droit canonique
maintient, sous réserve de la compétence des Evêques, l’âge minimum du mariage à 16 ans pour le garçon et
à 14 ans pour la fille (Can 1083) ?
Honorables Sénateurs et chers collègues ;
Le projet de loi aborde aussi une autre question essentielle, celle de la forme du mariage. Aux termes du
nouvel article 330, « Tout individu a le droit de se marier avec la personne de son choix, de sexe
opposé, et de fonder une famille ». Les autres continents ne nous intéressent pas. Nous, c’est un homme et
une femme.
Je salue cette option car c’est la réplique même de l’article 40 de la Constitution. Elle se passe de tout
commentaire.
Je salue également la disposition selon laquelle « La monogamie est l’unique forme de mariage autorisée
en République démocratique du Congo » (art. 330 al 4). Ceci est une traduction en forme de principe de la
criminalisation déjà décidée en 1987 de la bigamie et, a fortiori, de la polygamie en République démocratique
du Congo. Plus de bigamie, plus de polygamie.
Il reste que l’effectivité de pareilles dispositions ne dépend pas que de la noblesse de leurs objectifs ; encore
faut-il disposer d’un véritable plan pédagogique et correctif pour pouvoir les atteindre.
Sur la question de la dot, je prends acte de ce que l’institution continue de jouir de la faveur des
gouvernants ; ce qui est conforme à la majorité des coutumes congolaises et même africaines.
Le projet prévoit heureusement de ramener le pouvoir de fixation du maximum de son taux au niveau des
Gouverneurs de province ; ce qui est une bonne décision.
Je reste cependant convaincu qu’en l’absence de sanction des comportements mercantiles des parents en la
matière, la disposition risque de demeurer un voeu pieux.
J’engage l’ensemble des gouvernants à se pencher sur cette question, faute de quoi plusieurs jeunes ne se
marieront jamais à cause des exigences prohibitif de la dot.
Nous devons faire en sorte que le mariage ne soit pas vécu par les jeunes comme une corde au cou.
C’est, au contraire, selon moi, un collier de roses, juste avec quelques épines !
5
A propos du ménage des mariés, le projet de loi veut supprimer l’obligation pour la femme mariée de suivre
son mari partout où il aura décidé de fixer le domicile conjugal.
Si cette suppression n’est motivée que par les considérations du genre, que fait-on alors de la coutume
largement répandue selon laquelle, après le versement de la dot, la femme mariée quitte son domicile pour
s’établir dans celui de son mari ?
Je ne pense pas qu’il soit sage de supprimer l’idée que la femme mariée a son domicile chez son époux. Ce
n’est pas conforme à la majorité de nos coutumes.
Quant à la filiation, je suis heureux que les principes en vigueur, issus de notre authenticité, aient été
maintenus :
- rejet de la distinction entre filiation naturelle et filiation légitime ;
- maintien de la filiation juridique au même titre que la filiation d’origine et la filiation adoptive ;
- obligation de reconnaître les enfants nés hors-mariage (affiliation) ;
- actions en recherche de paternité ou de maternité, etc.
Ce statu quo ante est à saluer car il faut continuer à affirmer le principe selon lequel, dans notre pays, et nous
en sommes, tout enfant doit avoir un père ! C’est ce qui justifie la notion de « père juridique » dont la
paternité revient à la République démocratique du Congo.
En ce qui concerne la question des régimes matrimoniaux, des successions et des libéralités, là aussi
le projet gouvernemental a, pour l’essentiel, maintenu les grands principes énoncés en 1987 :
existence
des trois régimes distincts (séparation des biens, communauté des biens et communauté
réduite aux acquêts, avec ce dernier comme régime légal) ;
maintien
du pouvoir de gestion maritale des biens quel que soit le régime choisi ;
réaffirmation
du principe de la contribution des époux aux charges du ménage ;
distinction
des successions testamentaires et ab intestat ;
reconnaissance
de la place du testament oral à côté du testament authentique et du testament
olographe ;
protection
du même cercle des héritiers qu’en 1987, avec leur organisation en trois catégories et trois
groupes ;
maintien
de la règle de la réserve successorale au profit des enfants ;
reconnaissance
du droit d’usufruit sur la maison conjugale au profit du conjoint survivant non remarié;
réaffirmation
de la gratitude comme contrepartie de la libéralité, etc.
En somme, le projet de réforme est riche de points de vue de discussions. Voilà pourquoi il nécessite
un examen approfondi. Je rappelle que l’actuel Code a pris dix ans à l’Assemblée nationale de
l’époque pour être voté.
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Honorables Sénateurs et chers collègues,
Distingué(e) invité(e) ;
Je ne peux clore ce mot sans me prononcer sur la problématique de la révision constitutionnelle qui agite
tout le microcosme de la classe politique. S’agissant de ce débat, trois réflexions m’inspirent :
Primo : En tant que Co-président des Concertations nationales, j’atteste que tous les délégués s’étaient
mis d’accord et se sont même « engagés à consolider la cohésion nationale et à sauvegarder le pacte
républicain notamment par le strict respect de la Constitution, particulièrement dans ses dispositions
voulues intangibles par le souverain primaire : la forme républicaine de l’Etat, le principe du suffrage
universel, la forme représentative du gouvernement, le nombre et la durée du mandat du Président de
la République, l’indépendance du Pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, la nonréduction
des droits et libertés de la personne, la non-réduction des prérogatives des provinces et des
entités territoriales décentralisées » (Recommandation n°1 du Groupe thématique « Gouvernance,
Démocratie et Réformes institutionnelles ») ;
Secundo : En tant que juriste, je m’interroge comment une Constitution qui prévoit des dispositions
intangibles peut-elle autoriser les institutions issues d’elle de modifier lesdites dispositions sans tomber dans
un cas flagrant de violation intentionnelle de la Constitution ! Les dispositions intangibles de la
Constitution – je pense ici à l’article 220 et à tous ceux auxquels il renvoie – constituent le pivot, le
socle, l’armature de toute l’architecture constitutionnelle. Comment peut-on les modifier sans détruire par
ce fait même tout l’édifice constitutionnel construit dans la peine ! On n’est dès lors plus dans la même
Constitution, mais dans une autre. Il ne faut pas tirer prétexte de la révision pour aboutir à un
changement de Constitution. Cela n’est pas prévu par la Constitution en vigueur.
Tertio : En tant qu’acteur politique, je note que la Constitution du 18 février 2006 est issue du compromis
historique de Sun City : l’Accord global et inclusif. Les éléments de ce compromis sont repris dans l’Exposé
des motifs et transposés notamment dans l’article 220. Comment peut-on prendre le risque d’altérer ce
compromis politique sans menacer la cohésion nationale et la paix sociale !
Chers compatriotes,
Dans son Message à la Nation devant le Congrès, à l’occasion de la clôture des Concertations nationales, le
Président de la République a déclaré, je cite : « Comme les Délégués à ces assises, je suis pour le
respect par tous de l’esprit et de la lettre de la Constitution de la République dans son ensemble, telle
qu’adoptée par le référendum populaire en 2005 ». Fin de citation.
J’invite la classe politique au respect des engagements, à la culture de la paix et de la réconciliation, à l’esprit
de tolérance et d’alternance. Il est temps que notre pays dépasse le stade des querelles politiques
byzantines pour se concentrer enfin sur les vrais problèmes du peuple : pauvreté, chômage, éducation,
santé, infrastructures, environnement ; bref, aux problèmes du développement socioéconomique du pays.
Sur ce, je déclare ouverte la Session ordinaire du Sénat de septembre 2014 et je vous remercie.
Léon KENGO wa DONDO
R E P U B L I Q U E D E M O C R A T I Q U E D U C O N G O
SENAT
CABINET DU PRESIDENT
Kinshasa
Palais du Peuple
15 décembre 2014
ALLOCUTION DU PRESIDENT
A L’OCCASION DE LA OUVERTURE
DE LA SESSION ORDINAIRE DE
SEPTEMBRE 2014
1
Honorable Président de l’Assemblée Nationale et Estimé collègue,
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême de Justice,
Monsieur le Procureur Général de la République,
Honorables Membres du Bureau de l’Assemblée nationale et du Sénat,
Honorables Députés et Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement,
Monsieur le Président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa,
Monsieur le Gouverneur de la Ville-province de Kinshasa,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Chefs des Missions Diplomatiques,
Mesdames et Messieurs les Représentants des Organisations Internationales du Système des Nations
Unies,
Mesdames et Messieurs les Officiers Généraux et Supérieurs des Forces Armées et de la Police
Nationale,
Messieurs les Représentants des Confessions religieuses,
Madame la Bourgmestre de la Commune de Lingwala,
Distingué(e)s invité(e)s,
Mesdames et Messieurs,
Essentiellement budgétaire la présente Session ordinaire s’ouvre conformément aux articles 115 de la
Constitution et 74 du Règlement Intérieur du Sénat.
Elle intervient à un moment particulièrement douloureux dans la vie sociale de notre peuple marqué par la
résurgence de la fièvre hémorragique à virus EBOLA dans le territoire de Boende, province de l’Equateur. Un
virus d’une autre souche est signalé en Afrique de l’Ouest, où l’on déplore au moins deux milliers de victimes.
En mémoire de toutes ces victimes, je vous invite à observer un instant de silence.
Je salue l’heureuse initiative de l’Eglise catholique du Grand Equateur de réunir les filles et fils de la Province
pour se joindre au Gouvernement aux fins de trouver des voies et moyens de préserver l’Equateur de ce fléau.
Sans céder à la psychose le Gouvernement devrait quant à lui rester constamment mobilisé afin que le plan
de riposte mis en place permette non seulement le cantonnement mais surtout l’éradication de la maladie. Il y
va de la santé de tous, santé qui figure dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement.
A propos de ces Objectifs, je rappelle que notre pays à l’instar de nombreux autres s’était engagé de 2003 à
2015 notamment à :
- réduire de moitié l'extrême pauvreté et la faim ;
- réaliser l'éducation primaire universelle et l'égalité des sexes ;
- réduire de deux tiers la mortalité des enfants de moins de 5 ans et de trois quarts la mortalité maternelle ;
- inverser la tendance en matière de propagation du VIH/sida et du paludisme ;
- réaliser un développement durable et assurer la viabilité de l'environnement.
L’heure est au bilan. Cela d’autant plus que les performances économiques présentées sont en lien direct
avec les résultats obtenus dans la poursuite de ces objectifs.
Le Gouvernement aligne en effet, des résultats économiques notables. Selon les données disponibles la
conjoncture intérieure continue à se caractériser par :
- une croissance soutenue de l’activité économique ;
- la maîtrise budgétaire, la stabilisation du taux de change et la baisse du rythme de l’inflation.
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Suivant la Banque Centrale du Congo le taux de croissance du PIB se situera à 8,8% en fin 2014 contre 8,5%
en 2013. L’année pourra se clôturer aussi avec un taux d’inflation de 1,2% alors que le taux d’inflation moyen
prévu est de 3,9%.
Quant à lui, le taux de change du dollar américain qui demeure stable se situera à 930 francs grâce à une
bonne coordination des politiques budgétaire et monétaire.
Dans ce contexte la Banque Centrale a jugé nécessaire de maintenir son taux directeur à 2%. Malgré le faible
niveau de ce taux et une certaine maîtrise de l’inflation les banques commerciales continuent
malheureusement à prêter de l’argent à des taux d’intérêt prohibitifs. Ces taux s’élèvent actuellement à 18,0%
en moyenne par an ce qui handicape le financement de l’activité économique et, par voie de conséquence, la
création des emplois.
Je souhaite que le Gouvernement engage des discussions avec le secteur bancaire accompagnées de
mesures incitatives afin d’obtenir la baisse de ces taux.
Par ailleurs, dans le contexte où l’agriculture est devenue l’une des priorités pourquoi ne pas créer dès
maintenant des banques de crédits agricoles !
Je ne pense pas que l’Etat puisse en la matière atteindre tous les objectifs poursuivis sans la participation du
secteur privé.
Je ne cesserai jamais de le dire : ce n’est pas l’Etat mais le capital privé qui crée des foyers de richesses. Et
pour qu’il y ait création des foyers de richesses, il faut que le capital privé soit soutenu et associé aux objectifs
du développement.
C’est dans ce contexte que le Parlement est sensibilisé pour que l’écriture du nouveau Code agricole
actuellement en examen à l’Assemblée nationale soit améliorée notamment son article 16 qui a fait de tapage
ce dernier temps.
C’est avec des mesures incitatives en direction des PME et PMI que nous parviendrons à booster notre
secteur agricole.
Honorables Sénateurs et chers collègues,
Budgétaire la présente Session présente ne traitera pas moins d’autres matières conformément à son
calendrier. Parmi ces matières il y a le projet de loi modifiant et complétant le Code de la Famille déposé par
le Gouvernement au cours de la Session de mars de cette année.
Présentement en examen au Sénat, ce projet constitue une réforme législative d’une importance capitale.
Permettez-moi d’y revenir un instant.
Prisonnier à Sainte-Hélène, Napoléon disait : « Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné quarante
batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra
éternellement, c’est mon Code civil ».
Le Code civil est la première règle de vie que se donne un peuple pour son harmonie. Il contient les principes
essentiels sur l’identification et la capacité des personnes mais aussi les règles relatives au droit de la famille,
aux régimes matrimoniaux, aux successions aux libéralités. C’est en quelque sorte la pierre angulaire de tout
l’édifice juridique d’un pays.
Le Gouvernement justifie la modification de ce monument juridique essentiellement par le souci d’adapter la
législation à certains instruments juridiques internationaux visant le renforcement des droits spécifiques de la
femme et de l’enfant, tout en actualisant sur le plan technique, les unités et valeurs monétaires contenues
dans le Code de 1987.
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Je salue cette initiative. J’estime cependant, que les options à lever doivent demeurer dans les limites de la
compatibilité du droit moderne avec notre droit traditionnel.
Car, comme je l’avais écrit en 1976 dans une de mes mercuriales, la réforme qui allait donner naissance au
Code de la famille actuel était initiée dans un esprit bien spécifique : « constituer une synthèse
harmonieuse entre les éléments du droit moderne et ceux du droit traditionnel, à même de concilier et
de refléter les aspirations légitimes d’un peuple en pleine mutation qui ne veut pourtant rien perdre de
son authenticité ».
Aussi aimerais-je partager avec vous quelques réflexions sur certains points de la réforme projetée.
Sur les questions liées au droit de la personne, je vois que des innovations sont introduites notamment en
matière d’identification et de capacité des personnes physiques, particulièrement en ce qui concerne la
dation du nom et la capacité juridique de la femme mariée.
En matière de dation du nom, si l’article 52 a le mérite de préciser que le nom, le postnom et le prénom
constituent les éléments du nom, en revanche, le projet gouvernemental a supprimé le pouvoir du dernier mot
qui avait été laissé au père en cas de désaccord des parents dans l’attribution du nom à leur enfant. Une telle
suppression, qui ne s’accompagne d’aucune solution palliative, comporte le risque de voir le litige, d’essence
privée, être porté devant une instance extérieure à la famille ; ce qui ne peut que nuire aux rapports de paix et
de stabilité dans le couple.
Je suggère que l’attribution du nom à l’enfant continue d’être comme par le passé, l’oeuvre de ses parents. En
cas de désaccord, que le dernier mot revienne non pas au père seulement, mais aux deux parents, en
accordant à chacun le droit d’attribuer un élément du nom à l’enfant. Ainsi l’enfant porterait, dans ce cas, un
nom composé d’au moins deux éléments, attribués respectivement par chacun des deux parents.
Sur la question même de la structure du nom, il est certes réaffirmé dans le projet de loi que le nom, puisé
dans le patrimoine culturel congolais, comporte un ou plusieurs éléments.
Quoique conformes à certaines de nos cultures, cette disposition accuse à mon avis, un certain manque
d’uniformisation de la structure du nom en droit congolais, en raison de la réaffirmation du principe de la
pluralité sans limite des éléments du nom. En outre, elle ne résout pas le problème des noms kilométriques,
source de beaucoup de difficultés dans la rédaction des actes d’état civil. Il faut limiter sinon on n’établira
jamais de nom.
Je propose qu’une réflexion soit menée sur cette question.
Dans le même ordre d’idées, l’on ne voit nulle part la place que le nouveau Code réserve aux
pseudonymes et autres surnoms, une pratique pourtant courante dans la vie sociale.
Sur la problématique de la capacité juridique de la femme mariée, je note qu’à la demande insistante de
la gent féminine, l’autorisation maritale, jadis conçue dans l’optique de la protection de cette dernière, est
proposée à la suppression. Je m’en réjouis.
Ce n’est pas une mauvaise idée. Car notre pays a ratifié la Convention des Nations Unies sur l’élimination de
toutes les discriminations à l’égard de la femme. En outre, la Constitution du 18 février 2006 consacre le
principe de la parité homme-femme, même si ce n’est que dans le domaine politique.
Dans ce contexte, le maintien de l’autorisation maritale apparaît comme une limitation injustifiée de la capacité
juridique de la femme mariée. D’autant plus que, déjà du fait de leur mariage, la capacité juridique de l’homme
et de la femme est naturellement restreinte par les obligations réciproques qui leur incombent, tant dans la
gestion du lien conjugal que dans l’administration de leurs biens.
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Sur ce point, le Gouvernement a vu juste.
Dans la même logique, il est proposé de relever l’âge légal du mariage de la jeune fille à 18 ans,
contrairement à 15 ans dans la législation actuelle.
C’est une vielle revendication qui a trouvé écho dans la loi portant protection de l’enfant, laquelle a fixé l’âge
de la majorité à 18 ans.
Je rappelle simplement qu’il n’y a pas de lien nécessaire entre l’âge de la majorité civile et celui du mariage.
Tout dépend des développements physiologiques et psychologiques des personnes. D’ailleurs, à l’époque de
la rétention de l’âge de 15 ans pour la jeune fille, le Code civil fixait la majorité civile à 21 ans !
Dès lors, le problème n’est pas dans l’option levée, mais dans l’argument avancé.
Puis-je rappeler qu’en dépit de la charge morale qui entoure cette question, le Code de droit canonique
maintient, sous réserve de la compétence des Evêques, l’âge minimum du mariage à 16 ans pour le garçon et
à 14 ans pour la fille (Can 1083) ?
Honorables Sénateurs et chers collègues ;
Le projet de loi aborde aussi une autre question essentielle, celle de la forme du mariage. Aux termes du
nouvel article 330, « Tout individu a le droit de se marier avec la personne de son choix, de sexe
opposé, et de fonder une famille ». Les autres continents ne nous intéressent pas. Nous, c’est un homme et
une femme.
Je salue cette option car c’est la réplique même de l’article 40 de la Constitution. Elle se passe de tout
commentaire.
Je salue également la disposition selon laquelle « La monogamie est l’unique forme de mariage autorisée
en République démocratique du Congo » (art. 330 al 4). Ceci est une traduction en forme de principe de la
criminalisation déjà décidée en 1987 de la bigamie et, a fortiori, de la polygamie en République démocratique
du Congo. Plus de bigamie, plus de polygamie.
Il reste que l’effectivité de pareilles dispositions ne dépend pas que de la noblesse de leurs objectifs ; encore
faut-il disposer d’un véritable plan pédagogique et correctif pour pouvoir les atteindre.
Sur la question de la dot, je prends acte de ce que l’institution continue de jouir de la faveur des
gouvernants ; ce qui est conforme à la majorité des coutumes congolaises et même africaines.
Le projet prévoit heureusement de ramener le pouvoir de fixation du maximum de son taux au niveau des
Gouverneurs de province ; ce qui est une bonne décision.
Je reste cependant convaincu qu’en l’absence de sanction des comportements mercantiles des parents en la
matière, la disposition risque de demeurer un voeu pieux.
J’engage l’ensemble des gouvernants à se pencher sur cette question, faute de quoi plusieurs jeunes ne se
marieront jamais à cause des exigences prohibitif de la dot.
Nous devons faire en sorte que le mariage ne soit pas vécu par les jeunes comme une corde au cou.
C’est, au contraire, selon moi, un collier de roses, juste avec quelques épines !
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A propos du ménage des mariés, le projet de loi veut supprimer l’obligation pour la femme mariée de suivre
son mari partout où il aura décidé de fixer le domicile conjugal.
Si cette suppression n’est motivée que par les considérations du genre, que fait-on alors de la coutume
largement répandue selon laquelle, après le versement de la dot, la femme mariée quitte son domicile pour
s’établir dans celui de son mari ?
Je ne pense pas qu’il soit sage de supprimer l’idée que la femme mariée a son domicile chez son époux. Ce
n’est pas conforme à la majorité de nos coutumes.
Quant à la filiation, je suis heureux que les principes en vigueur, issus de notre authenticité, aient été
maintenus :
- rejet de la distinction entre filiation naturelle et filiation légitime ;
- maintien de la filiation juridique au même titre que la filiation d’origine et la filiation adoptive ;
- obligation de reconnaître les enfants nés hors-mariage (affiliation) ;
- actions en recherche de paternité ou de maternité, etc.
Ce statu quo ante est à saluer car il faut continuer à affirmer le principe selon lequel, dans notre pays, et nous
en sommes, tout enfant doit avoir un père ! C’est ce qui justifie la notion de « père juridique » dont la
paternité revient à la République démocratique du Congo.
En ce qui concerne la question des régimes matrimoniaux, des successions et des libéralités, là aussi
le projet gouvernemental a, pour l’essentiel, maintenu les grands principes énoncés en 1987 :
existence
des trois régimes distincts (séparation des biens, communauté des biens et communauté
réduite aux acquêts, avec ce dernier comme régime légal) ;
maintien
du pouvoir de gestion maritale des biens quel que soit le régime choisi ;
réaffirmation
du principe de la contribution des époux aux charges du ménage ;
distinction
des successions testamentaires et ab intestat ;
reconnaissance
de la place du testament oral à côté du testament authentique et du testament
olographe ;
protection
du même cercle des héritiers qu’en 1987, avec leur organisation en trois catégories et trois
groupes ;
maintien
de la règle de la réserve successorale au profit des enfants ;
reconnaissance
du droit d’usufruit sur la maison conjugale au profit du conjoint survivant non remarié;
réaffirmation
de la gratitude comme contrepartie de la libéralité, etc.
En somme, le projet de réforme est riche de points de vue de discussions. Voilà pourquoi il nécessite
un examen approfondi. Je rappelle que l’actuel Code a pris dix ans à l’Assemblée nationale de
l’époque pour être voté.
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Honorables Sénateurs et chers collègues,
Distingué(e) invité(e) ;
Je ne peux clore ce mot sans me prononcer sur la problématique de la révision constitutionnelle qui agite
tout le microcosme de la classe politique. S’agissant de ce débat, trois réflexions m’inspirent :
Primo : En tant que Co-président des Concertations nationales, j’atteste que tous les délégués s’étaient
mis d’accord et se sont même « engagés à consolider la cohésion nationale et à sauvegarder le pacte
républicain notamment par le strict respect de la Constitution, particulièrement dans ses dispositions
voulues intangibles par le souverain primaire : la forme républicaine de l’Etat, le principe du suffrage
universel, la forme représentative du gouvernement, le nombre et la durée du mandat du Président de
la République, l’indépendance du Pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, la nonréduction
des droits et libertés de la personne, la non-réduction des prérogatives des provinces et des
entités territoriales décentralisées » (Recommandation n°1 du Groupe thématique « Gouvernance,
Démocratie et Réformes institutionnelles ») ;
Secundo : En tant que juriste, je m’interroge comment une Constitution qui prévoit des dispositions
intangibles peut-elle autoriser les institutions issues d’elle de modifier lesdites dispositions sans tomber dans
un cas flagrant de violation intentionnelle de la Constitution ! Les dispositions intangibles de la
Constitution – je pense ici à l’article 220 et à tous ceux auxquels il renvoie – constituent le pivot, le
socle, l’armature de toute l’architecture constitutionnelle. Comment peut-on les modifier sans détruire par
ce fait même tout l’édifice constitutionnel construit dans la peine ! On n’est dès lors plus dans la même
Constitution, mais dans une autre. Il ne faut pas tirer prétexte de la révision pour aboutir à un
changement de Constitution. Cela n’est pas prévu par la Constitution en vigueur.
Tertio : En tant qu’acteur politique, je note que la Constitution du 18 février 2006 est issue du compromis
historique de Sun City : l’Accord global et inclusif. Les éléments de ce compromis sont repris dans l’Exposé
des motifs et transposés notamment dans l’article 220. Comment peut-on prendre le risque d’altérer ce
compromis politique sans menacer la cohésion nationale et la paix sociale !
Chers compatriotes,
Dans son Message à la Nation devant le Congrès, à l’occasion de la clôture des Concertations nationales, le
Président de la République a déclaré, je cite : « Comme les Délégués à ces assises, je suis pour le
respect par tous de l’esprit et de la lettre de la Constitution de la République dans son ensemble, telle
qu’adoptée par le référendum populaire en 2005 ». Fin de citation.
J’invite la classe politique au respect des engagements, à la culture de la paix et de la réconciliation, à l’esprit
de tolérance et d’alternance. Il est temps que notre pays dépasse le stade des querelles politiques
byzantines pour se concentrer enfin sur les vrais problèmes du peuple : pauvreté, chômage, éducation,
santé, infrastructures, environnement ; bref, aux problèmes du développement socioéconomique du pays.
Sur ce, je déclare ouverte la Session ordinaire du Sénat de septembre 2014 et je vous remercie.
Léon KENGO wa DONDO