Pour la deuxième journée consécutive, la situation est demeurée très tendue à Kinshasa, alors que le Sénat examinait un projet de loi électorale très controversé, liant les prochaines échéances des élections présidentielle et législative à l’achèvement des opérations de recensement de la population.
Les partis d’opposition, qui avaient appelé la population à manifester contre le report probable des élections de 2016 ont rapidement perdu le contrôle de leurs troupes, qui ont été dépassées par des émeutiers et des pillards.
Quant au pouvoir, il a réagi par la manière forte, déployant la police anti-émeute et la garde républicaine qui, après avoir utilisé des gaz lacrymogènes, ont tiré à balles réelles sur les manifestants. Non seulement le bilan des victimes est contesté, mais il y a des dégâts dans les deux camps : les autorités ne reconnaissent que quatre morts, mais d’autres sources, notamment hospitalières, font état d’une quinzaine de morts et de très nombreux blessés.
En outre, alors que les manifestations tournaient à l’émeute, elles ont pris pour cible des symboles du pouvoir, comme de nombreux commissariats qui ont été incendiés. Des acquis du régime, comme les bus Transco, -fierté du Premier Ministre car achetés sur fonds propres- qui assuraient une liaison rapide et bon marché entre le centre ville et les « cités » périphériques ont également été attaqués.
Désireux d’enrayer la vague de violence et de frapper à la tête (supposée), les autorités ont arrêté un leader politique katangais, Me Jean-Claude Muyambo, ancien bâtonnier du barreau de Lubumbashi, qui avait participé à l’appel à manifester. En outre, l’accès au réseau Internet et aux SMS a été suspendu, sans doute afin de freiner une éventuelle coordination entre les émeutiers.
D’après des témoins, joints par téléphone, la situation est d’autant plus difficile à maîtriser dans cette métropole de dix millions d’habitants que les manifestants se composent de petits groupes de jeunes opérant dans les quartiers populaires du Sud et de l’Ouest de la capitale, entre autres dans les immenses cités séparant le centre ville de l’aéroport de Ndjili, des quartiers surpeuplés, appelés « Chine rouge »… Ces jeunes, n’étant pas encadrés par les partis politiques, se sont livrés à des pillages, attaquant, entre autres, des boutiques tenues par des commerçants chinois souvent accusés de se livrer à une concurrence déloyale.
La voie express menant à l’aéroport a été bloquée et le vol Air France du mardi soir a été supprimé. Les abords de l’Unikin sont restés l’un des points chauds, car les étudiants manifestaient en grand nombre et selon certaines sources, non confirmées, ils auraient même eu l’intention de s’emparer du site où se trouve le CRN-K (centre régional d’études nucléaires de Kinshasa) où se trouve un réacteur utilisé à des fins de recherche médicale.
La simultanéité des manifestations de jeunes, leur caractère éclaté et les attaques délibérées contre les symboles de l’Etat, comme le commissariat de Ngaba qui a été saccagé, ont pu faire songer à une stratégie insurrectionnelle, où certains émeutiers auraient été payés pour semer le trouble. Mais ce soupçon, qui hante manifestement un pouvoir qui a suspendu les moyens de communications, ne renseigne pas sur les « cerveaux » de cette dangereuse manœuvre, qui pourrait se retourner tant sur l’autorité que sur l’opposition, l’un et l’autre dépassés par la colère populaire.
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