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Banditisme urbain : Sérieuse recrudescence des kuluna
L'Observateur SociétéIl fallait s’y attendre. Personne d’ailleurs n’était dupe. Les pressions qui avaient pesé sur la Police nationale après la fin de la première phase de » l’opération likofi « , qui était destinée à la traque des kuluna, ces bandits de grand chemin qui avaient terrorisé la Ville de Kinshasa pendant des années, avaient fait pressentir à la non-poursuite de cette pourtant salutaire opération.
Une deuxième phase avait, en effet, était prévue. Mais des ONG internationales, dont certaines ne maîtrisent pas toujours les fonds des questions qu’elles traitent, et d’autres produisent des enquêtes orientées, dans le but évident de nuire ou à une organisation, ou à un corps au sein de l’appareil étatique, ou encore à l’Etat lui-même, s’en étaient mêlées.
Des attaques virulentes ont été dressées contre la Police nationale et son chef à Kinshasa. Déçue peut-être par l’incompréhension dont elle a ainsi été victime, la Police n’a jamais entamé la deuxième phase de la fameuse opération, malgré les annonces et les mises en garde.
Remerciant vivement et applaudissant leurs sauveurs qui sont ces ONG, les kuluna se sont frotté les mains car se trouvant désormais devant un boulevard débarrassé d’agents de contrôle. Ceux d’entre eux qui avaient échappé à la traque en se refugiant à l’intérieur du pays, ou même dans les pays voisins, ont vite regagné leur terre de prédilection où ils ont sans tarder repris du service, avec la hargne de récupérer ce qu’ils ont considéré comme un manque à gagner.
Et les populations kinoises, qui avaient poussé un ouf de soulagement, qui avaient repris le goût de vivre, d’autant plus qu’elles pouvaient de nouveau circuler dans leur ville même aux heures tardives, ont conséquemment perdu toute quiétude, et sont donc de nouveau en émoi.
Les kinois étant connus pour leur sens de l’humour, on avait vu des femmes se pavaner au marché central de Kinshasa, autrefois siège principal des kuluna et des shegués, leur téléphone portable sur la tête. Loin de montrer un manque de sac devant servir à le garder, ces bonnes femmes exprimaient tout simplement par là la joie qu’elles ressentaient d’être débarrassées de ces bandits.
Depuis donc la suspension de l’opération salvatrice, les Kinois ont repris avec leur hantise. Se promener à Kinshasa, surtout la nuit, est redevenu un calvaire. Pire, les kuluna n’attendent plus leurs proies seulement sur la rue. Ils les visitent également carrément chez eux. Les communes qui éprouvent le plus des difficultés de fourniture de l’énergie électrique sont également les plus visées par ces bandits d’une autre époque.
Qu’il s’agisse de Selembao, de Bumbu, Makala ou Kimbanseke, le crédo est le même : ce sont chaque jour des pleurs et des grincements de dents. Il ne se passe plus un jour sans que l’on déplore à Kinshasa des cas de vol, presque toujours accompagnés de blessures à l’arme blanche, à tel point qu’ils apparaissent de plus en plus comme de simples anecdotes. Ce qui ne devrait pas être le cas.
Il y a quelques jours, M. Zéphyrin Lufuankenda, commissionnaire de son état, a fait les frais de ce banditisme. Il dormait paisiblement chez lui lorsqu’il fut réveillé par un grand bruit. Avec de lourds marteaux, des kuluna venaient de briser la serrure de la porte pourtant métallique de sa maison. En sortant en toute hâte au salon pour voir ce qu’il en était, il se retrouva nez à nez avec quatre gangsters, tous armés de longues machettes de marque » tramontina « , qu’ils brandissaient d’ailleurs, l’air vraiment méchant.
Les enfants, ne pouvant résister à la tentation de quitter leurs lits après ce bruit infernal, apparurent également au salon et furent immédiatement maîtrisés par les voyous. L’un des bandits plaça carrément la partie tranchante de la lame de sa machette au cou de l’aîné des enfants, en disant à son géniteur de bien regarder pour la dernière fois son enfant en vie.
Instinctivement, celui-ci s’agenouilla carrément et implora le pardon de l’agresseur. » Tuez-moi si vraiment vous voulez tuer quelqu’un, mais laissez ces pauvres enfants en vie. Je vous en prie « .
» Donne-nous alors tout l’argent que tu as ici « .
Le pauvre n’avait que 37.000 Fc, le complément des frais scolaires d’un des enfants qu’il s’était proposé de payer le lendemain. Il invita néanmoins ces agresseurs de fouiller eux-mêmes la maison. Pendant cet échange, un des agresseurs sortait les quelques biens de la maison, notamment un téléviseur et un lecteur CD.
Déçus de ne pas trouver grand-chose à emporter dans cette maison, ils menacèrent d’exécuter quand même le pauvre enfant. Lufwankenda leur expliqua alors qu’il n’avait rien, qu’il était au chômage depuis des années et qu’il ne vivait que des commissions qui, comme chacun le sait, ne tombent pas tous les jours, surtout en ces temps de crise.
Les kuluna, découragés, lui avouèrent avoir été attirés par la beauté de la maison. L’un ordonna à son compère : » lâche l’enfant et arrache une épaule au papa, et nous foutrons ensuite le camp « . Obéissant, l’autre s’approcha du pauvre père, leva son arme, puis se ravisa : » Il n’a vraiment rien. Allons-nous-en. «
Ils quittèrent alors la maison en l’insultant, le traitant de pauvre. Se levant, Lufwankenda put remarquer les six autres qui étaient postés dehors, prêts à discipliner les éventuels intervenants, ou d’aller en renfort dans la maison au cas où les compères rencontreraient de la résistance.
Cette même nuit, du jeudi 26 au vendredi 27 mars 2015, dans ce quartier de la Commune de Kimbanseke, dans le périmètre des paroisses catholique St Mbaga, et salutiste, trois autres familles ont été visitées, chacune s’en étant sortie avec des fortunes diverses.
Une semaine plus tard, c’est une autre famille, dans le quartier voisin de Biyela, qui fit les frais de la recrudescence de cette forme de banditisme nommé kuluna. La propriétaire, une pauvre sexagénaire, qui perdit plusieurs biens de valeur, s’en tira avec un œil grièvement blessé à l’arme blanche.
Quelques jours plus tard, un groupe important de kuluna attaqua spectaculairement des gens qui assistaient à des funérailles d’une vieille femme. » C’était à 2 heures du matin, raconta une des victimes. Ils étaient environ 30. Ils ont pu facilement nous maîtriser grâce à leurs machettes. Certains d’entre nous sortaient ainsi du sommeil pour vivre ce cauchemar. C’était affreux. C’est des choses que je ne souhaiterais à personne de vivre « .
Tous les biens de valeur, téléphones, habits, argent, sac à main ont changé de main en un clair de temps.
Dépouillés de toute arme de défense, plusieurs Kinois déclarent se sentir vulnérables face à ces jeunes gens sans foi ni loi, qui opèrent aujourd’hui, non seulement en toute quiétude, mais également avec un appétit revanchard, du fait de la traque dont ils avaient précédemment fait l’objet.
Le vœu de tous les Kinois est en tout cas que l’opération likofi reprenne ses droits. Il ne faut quand même pas que la population, trop acculée, en arrive à développer des mécanismes d’autodéfense. Car là, on ne sera plus loin de la jungle.
Jean-Claude Ntuala