TÉMOIGNAGE DE PAUL BONDO NSAMA
Dans ce pays, sous la Deuxième République, beaucoup d’hommes et de femmes ont eu la réputation d’être des puissants aux côtés du défunt maréchal Mobutu ou, plus généralement, dans les allées du pouvoir.
Jean Seti Yale, dont nous pleurons la brusque disparition, était indiscutablement du nombre. Sauf que, contrairement à certains autres qui aimaient s’en vanter publiquement voire en abuser, l’ex-conseiller spécial du président Mobutu en matière de sécurité préférait agir et rester dans la discrétion. L’horreur qu’il avait de toute forme de publicité autour de sa personne était telle que même au sein de ses propres entreprises, beaucoup d’agents ne savaient absolument rien de lui.
Bien plus, le président Mobutu lui-même n’était pas indifférent à son souci de vivre dans l’anonymat et de ne pas attirer l’attention sur lui. Aussi, comme pour satisfaire le mode de vie de son précieux collaborateur, a-t-il fini par le surnommer « Zéro un » ou « Zéro one » en remplacement de son appellation officielle de conseiller du chef de l’Etat en matière de sécurité.
Homme de l’ombre
Il est évident que l’exercice des fonctions aussi délicates exigent, au-delà des compétences techniques... totale abnégation, fidélité, sincérité et loyauté. Sans oublier cette qualité indispensable à tout individu dépositaire de secrets d’Etat, à savoir la capacité de se taire.
Jean Seti Yale répondait exactement à ce profil. Il l’a démontré par son sens élevé de responsabilité, l’efficacité de son action dans les coulisses, la finesse et la pertinence de ses analyses.
Dans ce cadre, il a effectué de nombreux périple à travers le monde, périples dont il a tiré d’importants dividendes pour le pays aussi bien sur le plan politique, économique et social.
Ouverture et générosité
Homme de l’ombre par définition, Seti Yale était aussi, par vocation, homme à tout faire du président Mobutu, accomplissant avec brio des missions parmi les plus sensibles.
Il s’exprimait peu, fonctions spéciales obligent, disant tout en peu de mots.
Quoiqu’étant conscient et peut-être fier de posséder une grande parcelle de pouvoir, il n’avait pas l’arrogance des puissants. Au contraire, il était plein de délicatesse dans ses relations avec autrui. Autant il brillait par son ouverture d’esprit, autant il était extrêmement abordable et d’une admirable générosité à l’égard de tous ceux qui sont parvenus à gagner son amitié, dont moi-même.
Connaissant la grandeur d’âme de son conseiller spécial, feu le maréchal ne tarissait pas d’éloges sur lui chaque fois qu’il lui était rapporté un geste charitable de Jean. «Seti azalaka kaka bongo : » («Seti est toujours comme ça : », disait-il dans ces cas-là.
Fin connaisseur de Mobutu
Jean Seti Yale n’était certes pas l’ami de tout le monde, mais il avait une excellente connaissance de la classe politique congolaise. C’est grâce à cet atout qu’il a joué un grand rôle dans les différentes négociations qui se sont succédées au lendemain de la démocratisation du pays le 24 avril 1990.
Plus particulièrement, il était l’un des rares hommes qui connaissaient le président Mobutu jusqu’au bout des ongles. Rien qu’à voir la mine du chef de l’Etat, il savait tout de suite deviner dans quel état d’esprit ce dernier se trouvait et comment il fallait, par conséquent, l’aborder.
Pour ma part, je n’ai eu qu’à m’en féliciter, et c’est comme cela que je me suis senti proche de Seti Yale pendant les 31 ans où j’ai moi-même côtoyé Mobutu en ma qualité de directeur du journal « L’Etoile » devenu par après «Salongo».
Tous les jours, Seti Yale se trouvait dès 7 heures en face du chef de l’Etat pour lui communiquer les dernières données sur la situation du pays dans le domaine sécuritaire.
J’ai plusieurs fois assisté à cet exercice du conseiller spécial, et je dois avouer qu’à chaque fois, j’étais impressionné par la profonde connaissance de Seti Yale des enjeux sécuritaires et politiques tant au pays que dans le monde. Quelques fois, j’ai eu à travailler directement avec lui, sur instruction de Mobutu, pour étoffer certains textes de nos commentaires dans le journal.
Ce que j’ai apprécié par-dessus tout en lui, c’est sa fidélité à toute épreuve vis-à-vis du président Mobutu. Même lorsque le chef de l’Etat le mettait officiellement à l’écart, Seti Yale ne nourrissait aucune amertume, se tenant toujours prêt à rendre service au moindre appel du Président.
Entrepreneur au service du pays
Etre conseiller spécial du chef de l’Etat est un travail non seulement lourd de responsabilités, mais aussi et surtout harassant dans ce sens que l’on ne peut guère disposer de temps à consacrer à soi-même.
Malgré cela, Seti Yale a su trouver des occasions de concevoir et de mettre en œuvre des structures de développement dans certains domaines d’activités. Notamment dans les plantations et élevages ainsi que dans l’exploitation routière, fluviale et aérienne, souvent en partenariat avec des groupes étrangers.
A titre d’illustration, dans les années 90, Seti Yale intervenait pour environ 17% dans le secteur alimentaire du pays.
Avec sa disparition, c’est toute l’histoire d’un homme hors du commun des mortels qui s’éteint.
Avec cette disparition s’éteint aussi l’histoire de ce Congolais hors du commun qui a si bien répondu à l’appel du président Mobutu : « Moto na moto abongisa ».
Quant à moi, je perds non seulement un ami, mais aussi un frère.
Adieu, Jean !
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